Ce scénario catastrophe pourrait imposer une démission d’Emmanuel Macron, option qu’il a pour l’instant toujours formellement exclue mais qui semble de plus en plus envisagée par les observateurs et, surtout, par les présidentiables, qui se préparent donc avec davantage d’urgence. Une agitation qui peut aussi expliquer leur inconséquence ces derniers temps et leur envie de se démarquer du gouvernement et surtout du président. Ainsi, Michel Barnier est-il attaqué sur son budget par les ambitieux de son propre camp, Gabriel Attal et Gérald Darmanin pour l’ancien parti macroniste, ainsi que Laurent Wauquiez, le patron des députés de la droite traditionnelle. Tous voient d’un mauvais œil l’étiquette fiscale qu’ils risquent de devoir porter, ainsi que le gel des retraites qui vise un de leurs rares segments électoraux restants.
On voit mal ces partis gouvernementaux voter la censure. Mais, par leurs attaques internes, ils posent une ambiance délétère qui ne manquera pas de faire hésiter ceux qui tiennent véritablement la survie du gouvernement entre leurs mains: les députés Rassemblement national. Pour l’instant, ces derniers ne votent pas la censure, mais ils peuvent changer d’avis à n’importe quel moment pour marquer leur identité de véritable opposition. Et de véritable alternance possible. Ils ne cessent de prendre un malin plaisir à rappeler que la majorité relative au pouvoir ne peut rien faire sans eux et qu’il suffit d’un tweet de Marine Le Pen pour dicter la ligne de conduite.
Le degré de frénésie des présidentiables du camp gouvernemental provoque donc un cercle vicieux. Plus ils s’agitent, plus ils rendent crédible le scénario catastrophe, plus le scénario catastrophe est crédible, plus ils s’agitent. Et le tout débouche sur une défiance exacerbée qui nourrit cet emballement.
C’est ce qui a fait dire à l’ancien premier ministre Edouard Philippe qu’il se tenait prêt en cas de démission du président, à la patronne des écologistes Marine Tondelier qu’il est possible qu’Emmanuel Macron démissionne avant d’être destitué, référence à la procédure perdue d’avance lancée par la gauche, et à des médias comme Europe 1 que l’hypothèse d’une démission d’Emmanuel Macron fait son chemin.
Une issue qui laisserait la France dans un état de défiance envers la politique et de crise des institutions qui ouvrirait toutes les portes des possibles (et qui aggraverait la fébrilité économique). Ce serait alors peut-être la fin du dernier grand succès qu’il resterait à mettre au crédit d’Emmanuel Macron, celui d’avoir su éviter l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite populiste. Par son charisme, son flair politique et ses manœuvres, il a survécu aux Gilets jaunes, au covid et à l’inflation. Il a aussi évité la victoire totale du Rassemblement national aux législatives anticipées de cet été. Contrairement à ce qui a pu se passer chez nombre des voisins de la France et malgré des circonstances défavorables (crises, impopularité, majorité relative), le président français a réussi à battre Marine Le Pen par deux fois. Mais la conjonction des crises politique et économique pourrait bien aboutir à une prise en main totale de la France par Marine Le Pen. Et ce dans un pays et un système institutionnel qui concentrent davantage le pouvoir qu’ailleurs en Europe occidentale.